Lyncher pour ne pas être lynché ? Réflexions sur les réactions suscitées par « Heavy Petting » de Singer

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REUS Estiva, Lyncher pour ne pas être lynché ? Réflexions sur les réactions suscitées par « Heavy Petting » de Singer, Cahiers Antispécistes, N° 22, février 2003.

Le n° 22 des Cahiers Antispécistes est consacré à la béstialité. Cet article revient sur la polémique provoquée par la publication en 2001 de l'article de Peter Singer intitulé « Heavy Petting » publié sur le site consacré à la sexualité, Nerve (http://www.nerve.com/) et dont les cahiers donnent une traduction.

Le texte intégral de cet article présenté ici provient du site des cahiers antispéciste

Lyncher pour ne pas être lynché ? Réflexions sur les réactions suscitées par « Heavy Petting » de Singer Estiva Reus En mars 2001 paraît sur le site du magazine Nerve l'article de Peter Singer intitulé « Heavy Petting » (http://www.nerve.com/) dont nous publions la traduction pages 13 à 17 de ce numéro des Cahiers antispécistes. Les réactions de lecteurs1 exprimées sur le site de Nerve sont impressionnantes à la fois par leur nombre et par leur contenu. Parmi ces réactions figurent des éléments auxquels on peut s'attendre : des félicitations adressées à l'auteur, des critiques argumentées, des réflexions d'ordres divers sur la zoophilie (aspects sanitaires, juridiques, références bibliographiques, témoignages...). Mais on trouve aussi, dans une proportion étonnante, des attaques personnelles envers Singer qui frappent tant par leur violence que par leur décalage par rapport au texte qui les a inspirées.


Texte intégral[modifier | modifier le wikicode]

La curée[modifier | modifier le wikicode]

Voici un échantillon des imprécations et injures adressées à Singer :

Je pense que vous êtes un sodomite qui aime propager le mal et la dépravation morale.
Comme M. Singer se désigne lui-même comme un grand singe, il se disqualifie pour porter tout commentaire
valide sur ce qui est « normal » ou « naturel » ou sur « le statut et la dignité des êtres humains ».
C'est l'article le plus dégoûtant que j'aie jamais lu...
Conclusion : ne laissez pas M. Singer promener votre chien.
... votre article est tout simplement dégoûtant. [...] et vous voulez décider pour nous en matière de bioéthique ?
Allez-vous en !
Parents, lisez les écrits fous de Peter Singer et prenez la résolution de ne jamais, jamais, jamais, envoyer vos
enfants à Princeton.
J'espère sincèrement que vous serez l'une de ces poules dont vous parlez dans votre prochaine vie.
Vous êtes un putain de baiseur malade. Procurez-vous un âne et soyez heureux.
Singer n'est pas un intellectuel, c'est un malade, et il est complètement immoral.
Cet article est sûrement fondé sur l'expérience d'une vie dérangée et dépourvue de contact sexuel humain
normal. Le seul aspect réconfortant de cet article est la certitude qu'une personne qui est malade de cette
manière est incapable de se reproduire. Continuez à baiser avec les poules et laissez le génome humain un peu
moins pollué.
Cet article montre hélas à l'évidence qu'il n'est pas plus intelligent que le chien commun dont il parle.
Rendez-nous service : mourrez !

Un certain nombre des commentaires insultants ou horrifiés s'appuient sur des références à la Bible ou émanent de personnes outrées du fait que Singer considère les humains comme des bêtes. Mais parmi leurs auteurs figurent également de nombreux militants animalistes. Visiblement, ceux-là aussi veulent sa tête. Il interviennent sur le thème « celui-là n'est pas des nôtres, sachez bien que nous n'avons rien à voir avec lui » :

Honte à toi Peter Singer. Ceux d'entre nous qui se soucient réellement des animaux ne les exploitent pas pour
avoir leur nom sous les projecteurs.
Il est difficile de croire que Singer ait été qualifié de « leader moral » dans le mouvement de défense animale.
[...] Quiconque continue à voir Singer comme un leader moral après avoir lu cette merde a besoin de se réveiller.

Ces réactions ne sont pas celles de militants isolés et peu représentatifs. On la retrouve au niveau institutionnel, à travers les prises de position publiques de diverses associations animalistes américaines (ASAIRS2, Friends of Animals, NEAVS3,...).

Tandis que les uns dénoncent et que les autres laissent faire en silence, seule la Présidente de PETA4, Ingrid Newkirk, intervient sobrement à contre-courant en déclarant :

Peter Singer est un intellectuel, par conséquent il ne raisonne pas en noir et blanc. Il regarde les zones grises
entre les deux.

Elle souligne qu'aussi bien Singer qu'elle-même condamnent absolument et sans la moindre équivoque toute recherche de plaisir sexuel avec les animaux impliquant la violence, la contrainte ou la peur. On aurait pu s'attendre à ce que cette mise au point émanant de la responsable d'une des plus grandes organisations animalistes mondiales calme le jeu. En fait, la chasse aux sorcières continue de plus belle, à ceci près que Newkirk en devient la cible au même titre que Singer. On l'accuse (elle ou PETA dans son ensemble) d'avoir trahi la cause animale, parfois en des termes qui frisent l'appel au meurtre :

Franchement, je pense que des gens devraient se présenter chez lui [Singer] et lui enfoncer de force dans le ***
quelque chose cinq fois plus large que ce qu'il peut y rentrer et voir s'il aime ça. [...] La présidente de PETA
semble être d'avis qu'on ne peut pas manger un animal mais qu'on peut avoir des relations sexuelles avec lui.
[...] CREVEZ !

Le fait est que la campagne anti-Singer a été encouragée dès le départ par deux ténors des droits des animaux : Tom Regan et Gary Francione.

Le 3 avril 2001, Regan publie un article dont le titre est clair : « Défendre les droits des animaux contre un des ses “défenseurs” ». Le début du texte reprend une thèse qui lui est chère : la distinction entre deux sortes de défenseurs des animaux, les « abolitionnistes » et les « welfarists ». Sur le plan philosophique, les premiers seraient ceux qui, comme lui-même, raisonnent en termes de droits et combattent radicalement l'exploitation animale. Les seconds seraient les tenants de l'utilitarisme, philosophie qui par sa nature même conduirait à se contenter de propositions réformistes d'amélioration de la condition animale5. Regan accuse Singer de défendre une position immorale à propos de la zoophilie, dont l'origine résiderait dans le biais utilitariste qui consiste à considérer que la fin justifie les moyens. Son article se termine par un appel sans équivoque à amplifier la campagne de condamnations contre lui :

La fin de la satisfaction mutuelle ne justifie jamais le moyen de la contrainte sexuelle. La condamnation publique
de l'opinion de Singer sur la sexualité avec des animaux, allant de « Dr. Laura » à la New Republic, aux groupes
de chat sur les droits des animaux et aux pages de courrier des lecteurs des journaux se fait déjà entendre.
Tout indique que le chœur de condamnations va continuer, et il le doit. [...] La foi dans les droits des animaux
peut être contestée de beaucoup de manières, mais ne laissons personne dire qu'elle est sûrement mauvaise
parce qu'elle approuve la sexualité avec les animaux. De façon manifeste et catégorique, elle ne l'approuve pas.

Regan fait presque figure de modéré cependant quand on compare ses propos à ceux tenus par Gary Francione. Dans une lettre ouverte datée du 28 mars 2001, ce dernier demande à Singer de démissionner de son poste de Président du Great Ape Project International, arguant du fait que le soutien qu'il apporte à la bestialité pourrait être utilisé pour justifier l'abus sexuel des grands singes et autres animaux par les humains.

Francione déclare être submergé de mails de militants animalistes prêts à pendre Singer pour les propos tenus dans « Heavy Petting » et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne fait rien pour les calmer avec des déclarations telles que celles-ci :

C'est une honte que le désir de Singer d'être sous les projecteurs soit si intense qu'il est prêt à encourager la
sexualité avec les animaux - une position qui ne mérite rien de moins qu'une condamnation franche et absolue.
Il a fondé sa carrière sur des prises de positions scandaleuses comme celle-ci.

Plus tard, il écrit encore dans une lettre adressée à ses collègues6 que « “Heavy petting” est un essai inquiétant à divers égards, y compris son franc sexisme et sa tentative d'érotiser la bestialité ». Dans la même lettre, il dresse un catalogue des méfaits passés de Singer, parmi lesquels il mentionne son soutien à la « trahison » de PETA à propos de Mac Donald7 et ses prises de position en matière de bioéthique qui ont eu pour conséquence de ternir le combat pour les droits des animaux en l'associant à « ces idées mêmes qui furent développées par certains universitaires comme composantes des fondements théoriques du nazisme ».


Que dit Singer ?[modifier | modifier le wikicode]

Imaginons que, sans avoir lu le texte de Singer, nous ayons à en deviner la teneur et le style d'après les réactions évoquées ci-dessus. Que penserions-nous qu'il contient ?

Nous penserions qu'il s'agit d'une pièce de littérature érotique ou pornographique destinée à promouvoir la bestialité. Nous dirions que l'auteur a probablement une large expérience en la matière et souhaite le faire savoir et/ou qu'il a choisi de défendre une position choquante pour le plaisir de faire parler de lui. Outre son côté exhibitionniste, nous nous attendrions à ce que le texte révèle d'autres traits de son caractère : il est sadique (il vante la jouissance obtenue en abusant sexuellement des animaux) et il est sexiste (peut-être est-il un de ces voyeurs qui se délectent à humilier les femmes en leur imposant des relations sexuelles avec des animaux ?).


Le Pervers Pépère qui courrait se procurer le texte de Singer sur la foi des réactions de ses détracteurs serait terriblement déçu. Ni érotisme torride, ni pornographie vicieuse. Pas l'ombre d'une révélation sur la vie sexuelle de l'auteur, pas le moindre indice de penchants sexistes, zoophiles ou sadiques. En fait il s'agit d'un texte analytique, où Singer développe une réflexion personnelle à partir du commentaire d'un livre récent (Dearest Pet de Dekkers (Midas)).

Le point de départ en est un double constat : les pratiques et phantasmes zoophiles sont relativement développés chez les humains et cependant la bestialité fait l'objet d'une réprobation morale absolue. D'où la question : pourquoi cet apparent paradoxe ? La réponse que propose l'auteur est que les humains sont des animaux dont les pulsions et organes sexuels ressemblent à ceux d'autres animaux, et qui par conséquent peuvent trouver satisfaisants les contacts sexuels avec eux. Mais ils sont des animaux qui refusent de se reconnaître comme tels, d'où la puissance du tabou à l'encontre de la zoophilie (« une [...] force puissante est à l'œuvre : notre désir de nous différencier des animaux, sur le plan érotique comme en tout autre domaine »). S'il y a matière à critique, c'est sur l'interprétation des faits qu'elle doit porter.

Singer a-t-il eu tort de dire que les humains se livraient à la bestialité parce qu'ils pouvaient en tirer du plaisir ? On voit mal pourquoi cette pratique existerait s'il en allait autrement.

Singer s'est-il trompé en estimant que la condamnation de la bestialité dans une société spéciste est un symptôme de son caractère spéciste ? L'explication alternative serait que la réprobation de la zoophilie traduit l'extrême sollicitude de nos contemporains envers les animaux. Elle ne paraît guère convaincante dans un monde où il est permis les supplicier et de les tuer en masse pour la viande, la recherche ou les loisirs.


Le cœur de l'article porte sur un thème de sociologie des mœurs, et non de philosophie éthique. Les quelques passages où l'auteur exprime de surcroît une position personnelle n'offrent guère matière à indignation vertueuse. Le fait est que Singer ne porte aucun jugement du tout sur la bestialité si l'on entend par là une prise de position globale sur son caractère moral ou immoral. Il la condamne quand elle porte préjudice aux animaux (c'est « une raison valable pour laquelle certains des actes décrits dans le livre de Dekkers sont indéniablement mauvais et devraient rester des crimes »). Dans les autres cas, l'auteur n'indique pas s'il la juge moralement acceptable ou non.

Mon intention en commentant le livre de Midas Dekkers était de soulever la question de savoir pourquoi
les relations sexuelles entre humains et animaux qui ne sont pas imposées par la force, et qui ne causent
ni blessure ni angoisse à l'animal sont encore universellement considérées comme inacceptables, en dépit
de l'effondrement des tabous portant sur les activités sexuelles qui ne peuvent conduire à la procréation.
Mon but était d'amener les gens à réfléchir à cette question, et non d'exprimer une position nette dans un
sens ou dans l'autre concernant les contacts sexuels entre humains et animaux8.

Le seul jugement d'ordre général porté sur la bestialité dans « Heavy Petting » s'inscrit dans le prolongement du thème principal de l'article. Mais c'est un jugement purement négatif, à savoir que l'atteinte à la dignité humaine n'est pas une raison valable de condamner la zoophilie. Il est contenu dans la dernière phrase du texte : « Cela ne rend pas les rapports sexuels entre membres d'espèces différentes normaux, ou naturels, quoi que ces mots si abusivement employés puissent signifier, mais cela implique que de tels rapports cessent de constituer une offense envers notre statut et notre dignité d'êtres humains. »

Les militants animalistes voulaient-ils entendre que les rapports sexuels entre humains et animaux sont mauvais parce qu'ils portent atteinte à la dignité humaine ? Non ? Alors comment expliquer leur sainte colère ?


Une critique fondée ?[modifier | modifier le wikicode]

Les reproches adressés à Singer ont bien un lien avec son texte. Ses détracteurs lui en ont mortellement voulu d'une chose qu'il a effectivement écrite, et d'une autre qu'il n'a pas écrite alors qu'ils estimaient capital de la dire. Si la première était manifestement fausse et la seconde indéniablement vraie, on pourrait estimer qu'à la base de la vague d'hostilité suscitée par « Heavy Petting » se trouvait une critique légitime et clairement argumentée, qui ensuite a dégénéré vers l'insulte.

Des contacts sexuels mutuellement satisfaisants ?

Singer évoque des abus sexuels sur animaux d'une extrême violence (pénétration et décapitation des poules) et d'autres où des hommes utilisent des non-humains comme objets sexuels sans se soucier le moins du monde de savoir s'ils leur causent un tort physique ou psychique9 (la zoophilie « rurale » par exemple). Mais, sans se montrer affirmatif, il mentionne aussi la possible existence de contacts sexuels mutuellement satisfaisants :

Mais le contact sexuel avec les animaux n'implique pas toujours la cruauté. Qui, dans une conversation
en société, ne s'est jamais vu interrompre par le chien de la maison venu s'agripper à la jambe d'un
visiteur et y frotter vigoureusement son pénis ? L'hôte décourage habituellement ce genre d'activités
mais, en privé, tout le monde ne refuse pas que son chien l'utilise de la sorte, et il se pourrait que des
activités mutuellement satisfaisantes se développent parfois.

C'est probablement ce passage qui a déclenché le délire accusatoire de promotion de la zoophilie. Il ne contient pourtant aucune prescription. Il s'agit d'une hypothèse sur les faits. La seule contestation légitime aurait été de reprocher à Singer une erreur sur les faits (ce qui au demeurant ne constitue pas une faute morale). S'agissant de surcroît de l'évocation d'une simple éventualité, la contestation n'est possible qu'en apportant la preuve que la proposition « Il est certain qu'aucun contact sexuel entre un humain et un non-humain n'est mutuellement satisfaisant » est vraie.

Je parierais volontiers qu'aucun des inquisiteurs ne détient une telle preuve, et qu'ils savent parfaitement que dans certains cas eux-mêmes auraient du mal à expliquer en quoi une relation d'ordre sexuel avec un humain est cruelle ou nocive pour les non-humains. Ces cas sont ceux où les animaux sont manifestement demandeurs, ou ceux où ils participent à une activité à connotation sexuelle de leur propre mouvement, sans que l'initiative vienne de l'humain, et sans qu'ils y soient incités par des cajoleries, par un ordre, ou par la contrainte.

Il est difficile de croire que les humains qui prêtent obligeamment leur jambe à un chien, ou leur bras à un chat ou un canard pour qu'ils s'y livrent avec enthousiasme à des frottements leur procurant une excitation sexuelle ne leur occasionnent pas un plaisir. Et si quelques-uns des humains qui acceptent d'être utilisés de la sorte ne le font pas uniquement pour rendre service, mais en éprouvent eux-mêmes une jouissance, où est le crime ?

S'il est exact que certains chiens lèchent spontanément la vulve d'une femme étendue jambes entrouvertes, ou les organes génitaux d'un couple qui vient de faire l'amour, et que la femme ou le couple trouvent agréable de se faire lécher de la sorte, ne peut-on pas parler de relations mutuellement satisfaisantes ?

L'hypothèse de Singer paraît pour le moins plausible.

L'argument du consentement

Singer a déclaré qu'il réprouvait la bestialité lorsqu'elle était nocive pour les animaux. Il ne s'est pas prononcé sur les autres cas. Il est clair que ce silence lui a attiré les foudres de ses pourfendeurs. Ils lui reprochent férocement de ne pas avoir écrit que la bestialité était toujours moralement condamnable10.

Mais sur quelles bases aurait-il pu le faire ? Parce que les animaux souffriraient toujours du contact sexuel avec les humains et n'en tireraient jamais de satisfaction ? On l'a vu, Singer a émis l'hypothèse inverse, et il est vraisemblable que des situations où la relation avec les humains leur est agréable existent. Pourquoi dans de tels cas, devrait-on néanmoins affirmer que les humains impliqués commettent une faute morale ? Une réponse apparaît à des dizaines d'exemplaires dans les réactions des lecteurs, une réponse très brève et formulée par tous dans des termes quasiment identiques : la bestialité est toujours condamnable parce que les animaux ne peuvent pas donner de consentement éclairé aux relations sexuelles avec les humains.

L'opposition à Singer des vedettes universitaires de la philosophie des droits des animaux repose tout entière sur cet argument. Ainsi, Regan écrit-il dans son article du 3 avril 2001 :

Voir également[modifier | modifier le wikicode]