Les Procès de bestialité aux XVIe et XVIIe siècles

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HERNANDEZ, Ludovico, Docteur [pseudonyme de Fernand Fleuret et Louis Perceau], 1920, Les Procès de bestialité aux XVIe et XVIIe siècles. Documents judiciaires inédits, publiés avec un avant-propos Paris: Bibliothèque des curieux [Bibliothèque Nationale: RES- F-2368.]


Extrait :

Procès criminel de Gilles Dobremer accusé d’avoir commis crime détestable de sodomie avec une vache 9 février 1600

L’an mil cinq cent quatre vingt dix neuf, le jeudy deuxième jour du mois de décembre, à la requête et poursuite du procureur du Roy de cette ville et Baillage d’Abbeville, fut amené un quidam vêtu de drap rouge, accusé et pris en flagrant délit et crime abominable de sodomie avec une vache rousse, par les nommez Gilles Preaucourt, chef de la brigade de cette ville, Mathurin Cordon, Benoit Lavallée, Bernard Trippet et Raoul Hamon, Cavaliers de laditte Brigade ; lesquels ont certifié ledit délit, et signé le présent procès-verbal.

Ensuite nous aurions interrogé ledit quidam, et luy ayant demandé son nom, a répondu être appelé Gilles Dobremer.

Interrogé de quel païs il étoit, a répondu qu’il étoit de Mondidier.

Interrogé quel âge il avoit, a répondu qu’il avoit cinquante deux ans.

Interrogé quelle étoit sa profession, a répondu qu’il étoit laboureur, habitant à Favencourit, village du voisinage.

Interrogé s’il avoit acheté cette vache et à quelle intention, a répondu qu’il l’avoit acheté pour en avoir du lait seulement.

Interrogé s’il avoit coutume de commettre sodomie avec laditte vache, a répondu que c’étoit pour la première fois que ce malheur luy étoit arrivé.

Après lequel interrogatoire ledit Gilles Dobremer a été reconduit en prison.

Cejourd’huy mercredy vingt deuxième jour de décembre, sont comparus en notre présence les nommez André Potelle, Gilles Guerin et Alizon Socquier, femme de Benjamin Crespet, lesquels, après avoir prêté serment de dire pure et entière vérité, ont déclaré ce qui suit :

Sçavoir ledit André Potelle, premier témoin, a déclaré que ledit Gilles Dobremer ayant vû laditte vache chez luy Potelle, l’avoit examinée avec beaucoup d’attention, sa taille, sa forme, et que luy Potelle, ayant dit audit Gilles Dobremer que laditte vache n’avoit pas beaucoup de lait, ledit Dobremer avoit répondu que s’il vouloit la luy vendre il étoit prêt de l’acheter, sur quoy ledit Potelle luy auroit répondu que laditte vache luy revenoit à vingt cinq Ecus et qu’elle n’avoit encore vêlé que trois fois ; ledit Dobremer , répliqua que c’étoit justement ce qu’il luy falloit, et sur l’heure il luy voulut donner une pistolle pour arrhes, mais que la femme dudit Potelle avoit voulu rompre ce marché, alleguant que laditte vache étoit bonne et qu’elle seroit abondante en lait ; que le lendemain ledit Dobremer, revint à la charge et offrit cent livres, que sur cet offre la femme dudit Potelle consentit à la livrer; que luy, Potelle, avoit toujours été étonné de cette attache dudit Dobremer, mais que sur le bruit qui a couru depuis, il n’en est plus en doute.

Gilles Guérin, boulanger, second témoin, a déclaré qu’il sçavoit depuis très long tems que ledit Gilles Dobremer, avoit habité charnellement avec laditte vache, et qu’il l’en avoit aussi souvent réprimandé, mais que ledit Gilles Dobremer avoit toujours tourné la chose en raillerie.

Alizon Socquier, femme, de Benjamin Crespet, jardinier, a déclaré que le vingt cinq de novembre dernier, jour de Ste-Catherine, en passant. par la ruelle qui communique par derrière aux maisons de Benjamin Crespet, son mari, et dudit Gilles Dobremer, elle avoit aperçu ledit Dobremer en copulation charnelle avec laditte vache, sur quoy elle auroit pris la fuite, et fermé la porte du jardin sur elle; laquelle chose elle avoit racontée à son mary qui, depuis ce jour-là, ne voulut plus fréquenter ledit Dobremer, avec lequel il alloit cependant tous les dimanches et fêtes, à cause que ledit Dobremer aime beaucoup à boire, aussi bien que ledit Benjamin Crespet, mary de laditte Alizon Socquier.

Après lequel interrogatoire fait en présence de nous, Lieutenant criminel de la ville d’Abbeville, lesdits témoins ont certifié leurs dires véritables et se sont retirez.


Nous, Lieutenant criminel de cette ville et baillage d’Abbeville, avons déclaré et déclarons ledit Gilles Dobremer dûment atteint et convaincu et même ayant été surpris sur le fait et commettant ledit délit, d’avoir habité plusieurs fois avec une vache, pour lequel crime et réparation desquels cas l’avons condamné et condamnons à être pendu et étranglé à une potence qui sera pour cet effet dressée dans la place d’Abbeville, son corps jeté ensuite dans un feu, où sera aussi jetée la vache avec laquelle, il a commis ledit crime et délit, laditte vache préalablement étranglée; quoy fait les cendres jetées dans la Rivière de Somme. Déclarons en outre tous et chacun les biens dudit Gilles Dobremer acquis et confisquez au profit de Sa Majesté, sur lesquels sera néanmoins prélevée la somme de cent livres d’amende envers ledit seigneur Roy. Donné par nous, Lieutenant criminel susdit, l’an de grâce mil six cent, le neuvième jour de janvier.

Cet arrêt a été confirmé le 9 février 1601, par la Cour de Parlement, qui précise que la potence sera plantée sur le grand chemin de Favencourt à Abbeville.