Philo et zoo

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HADRIEN : “il n'y a pas d'objection Kantienne à la zoophilie.

Car en effet, Kant nous apprend à traiter autrui comme une fin en soi, non comme un moyen. Mais cet autrui suppose qu'il soit notre égal, en somme un être libre, rationnel et doué d'une conscience. Hors, les animaux ne sont pas des hommes, dès lors, l'idée d'un non consentement de la bête est absurde. C'est l'idée de non consentement qui rend réellement imoral un acte sexuel car il en devient forcé. Hors là, rien de tout ça, à moins de considérer les animaux à l'égal des humains.

Mais cela mis à part, vous pouvez y aller, on peut traiter un animal comme un moyen, donc on peut se livrer à des actes sexuels sur lui, mais à une condition .... faut aimer ça ...

Sinon, pour la question de l'éducation sexuelle des enfants, je sais pas ... peut-être qu'il faut réouvrir les bordels ... mais après ... ça pose d'autres problèmes ... »


KARMAI :

« Pour la question de la zoophilie, je te remercie de prendre sur toi pour bien expliquer que moralement,
rien ne s'oppose à la zoophilie si elle ne fait pas souffrir l'animal.
Ce résultat, que tu as décris reste tout de même assez problématique car comme le dit le code pénal

Article 521-1

"Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves ou de nature sexuelle ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende. À titre de peine complémentaire"

Si le jugement de la zoophilie reste un jugement esthétique et non morale, soit on punit d'un an d'emprisonnement ceux qui portent des chemises hawaiennes ou il faut dépénaliser de telles pratiques (en gros il faut enlever le "ou de nature sexuelle"). »

HADRIEN :

« Si le code pénal proscrit ce genre de pratique, je pense qu'il est tout de même assez tolérant en la matière.

A moins d'être dénoncé, si c'est fait chez soit et tranquillement, cela peut passer. La vrai raison à ce que j'en sais est que l'on considère que les actes de cruauté envers les animaux sont susceptibles d'être commis sur des hommes. En gros, si on torture des chiens, c'est que l'on a des pulsions de sadismes assez fortes, et que la barrière qui peut nous empêcher de le faire sur un homme est faible.

Pour ce qui est de la sexualité, il est possible que le raisonnement soit analogue, mais je ne suis pas sur. J'ai entendu dire qu'en matière de zoophilie, les gynécologues en voyaient de belles, et je n'ai pas entendu parlé de jugement pour autant.^

Il faudrait regarder la jurisprudence en vigueur mais je pense que sodomiser son chien ne condamne plus à un an de prison, à moins qu'il y ait des circonstances particulières. (genre, on tue la bête juste après et on boit son sang). Le problème avec la sexualité, c'est qu'elle reste toujours ambiguë, surtout avec du a-consentant vivant ... »


GAIFFELET :

« Si nous nous plaçons dans une perspective kantienne, comme l'a souligné hadrien, la zoophilie peut
être une pratique indifférente. Même s'il faut s'empresser de souligner que Kant lui-même y aurait vu
une abomination commise contre la nature humaine ! En effet, une telle pratique qui, en les faisant
s'accoupler, met l'homme au même rang que la bête, contrevient pour lui au devoir que l'homme a
vis-à-vis de lui-même, au même titre que la fornication, l'ivrognerie et la gourmandise ! 
Si nous nous plaçons dans une perspective utilitariste, où le critère du bien et du mal est la quantité
de plaisir ou de souffrance que nous occasionnons chez un ou plusieurs êtres qui en sont capables ;
alors la zoophilie, pour autant qu'elle procure du plaisir à l'animal et à l'homme, est tout à fait
défendable.
En tant qu'elle fournit du plaisir, elle doit être aussi défendable qu'est condamnable toute souffrance
infligée aux animaux. Elle en est l'exact contraire. L'antispécisme est donc une version cohérente
(peut-être la plus cohérente) de l'utilitarisme : il suffit de voir ce que des théoriciens fameux de
l'antispécisme utilitariste comme Peter Singer pensent de la zoophilie (cf. ici). 


Si nous nous plaçons dans la perspective d'une éthique de la nature, pareil accouplement semble contrevenir à ses lois éternelles. Dès lors, la zoophilie paraît condamnable.

Voilà pour les différentes options qu'on pourrait recenser. Quelques commentaires :

Pour ce qui est de l'éthique de la nature, la zoophilie paraît contre-nature en ce que : Citation: i) les êtres vivants ne seraient poussés à l'acte sexuel que dans l'unique perspective de la reproduction ;

ii) Or, une union entre individus d'espèces différentes est inféconde.

iii) Donc, la nature ne saurait commander l'union de deux individus d'espèces différentes.

iv) Or, la zoophilie, ou union d'un homme et d'un animal, est un cas d'union interspécifique;

v) Donc, la zoophilie est contraire à la nature et à ses lois.


On voit que le raisonnement, qui paraît simple intuitivement, est en réalité très complexe, et en passe par toute une série de médiations. Sans même récuser le principe d'une éthique de la nature (ce qui serait une attaque radicale du raisonnement), deux propositions intermédiaires peuvent, à mon sens, être contestées :

Le passage de ii) à iii) peut être contesté comme suit : s'il est vrai qu'il entre dans la définition de l'espèce biologique reçue habituellement (1) qu'elle regroupe des individus dont l'union est féconde (interfécondité) et dont l'union avec des individus d'autres groupes n'est pas féconde (isolement reproductif), la nature n'est pas avare de contre-exemples d'hybrides néanmoins sexués. L'union d'une lionne et d'un tigre a pour fruit le tigron, dont le mâle est stérile, mais la femelle, potentiellement féconde. L'union de l'âne et de la jument (ou de l'ânesse et du cheval) a pour fruit la mule ou le mulet, qui sont sexués bien que stériles. Or, ces animaux, en tant que sexués, ont des "chaleurs" ; même si, en tant qu'inféconds, ils sont stériles. Ce que commande la nature n'est donc pas si clair ! Elle semble leur commander de se reproduire sans leur en donner le moyen : sexualité et reproduction se distinguent dans la nature.

Cela nous amène à contester la proposition i). On sait que, parfois, les animaux ont des pratiques homosexuelles : les lions, les bonobos, etc. Leur sexualité déborde donc le but de reproduction, sans qu'il y ait pour cela rien de contraire aux lois de la nature, auxquelles la nature animale, par définition, ne saurait échapper. Et quand même on penserait qu'il est contraire à ses lois qu'un animal en montât un autre d'espèce différente, on ne ferait par là que se leurrer : j'ai vu, de mes yeux vu, par deux fois chez un ami (Cédric Ferron, pour ceux qui le connaissent) un chien monter un chat. Ils semblaient l'un et l'autre trouver leur plaisir à cette union doublement suspecte, pour une éthique classique de la nature : homosexuelle, et interspécifique.

Le chat, qui faisait la circonstance du chien, ronronnait même comme j'ai vu peu de chats ronronner !

Ainsi donc, la condamnation de la zoophilie qu'une éthique de la nature peut fournir me semble assez fragile. C'est pourtant celle qui est le plus communément invoquée, il me semble. Néanmoins, je crois que ce n'est pas en ce sens que Krafft-Ebing (Richard von), qui le premier répertoria les pratiques sexuelles que nous dirions aujourd'hui "déviantes" dans sa Psychopathia Sexualis (1886) range la zoophilie dans les pratiques contre-nature.


En effet, une autre interprétation du terme "contre-nature" est toujours possible, non en référence à la nature des naturalistes, mais à celle de l'homme. C'est ainsi que Kant entendrait que la zoophilie est une pratique contre-nature, au même titre que l'ivrognerie, la gourmandise, et la fornication. Une pratique zoophile nierait l'humanité en l'homme qui l'exercerait, et à deux titres :

1) comme toute fornication; 2) comme fornication avec un animal.

Une discussion du kantisme sur ce point fournirait une base pour réfléchir à la question de savoir si l'humanisme permet ou non un tel rapport à la bête. Cela permet de distinguer deux options humanistes différentes, également possibles, et non-contradictoires dans une certaine mesure :

1) l'éthique est affaire humaine : hors l'humanité, tout est éthiquement indifférent; 2) l'humanité est l'affaire de l'éthique, et plus l'homme se rapproche de la bête, plus il s'éloigne de lui-même en même temps qu'il s'éloigne de l'éthique.

On voit bien par là que deux types de rapports humanistes aux animaux sont possibles :

1) l'indifférence; 2) le dégoût.(Je note que sur le haut-relief que Karmaï a présenté pour ouvrir ce forum, l'individu derrière le cheval se cache le spectacle avec ses mains : qu'est-ce que cela signifie ? Dégoût ou réprobation morale ?)

C'est dans cette mesure qu'une contradiction apparaît entre les deux options humanistes, en même temps qu'apparaît la question : "comment se conduire vis-à-vis des animaux ?". La pratique zoophile a au moins le mérite de mettre en lumière cette question, avec une acuité toute particulière. C'est ce que je me proposerai d'examiner avec vous, une fois que j'aurai retrouvé le deuxième volume de la Métaphysique des mœurs, où les textes importants se trouvent, et que j'ai égaré.


NOTE :

(1) qui est celle d'Ernst Mayr. En fait, Ernst Mayr a donné successivement deux définitions du concept d'espèce biologique. En 1942 : "groupes de populations naturelles, effectivement ou potentiellement interféconds, qui sont génétiquement isolés d'autres groupes similaires"; puis, en 1963 : "communauté reproductive de populations, reproductivement isolée d'autres communautés, et qui occupent une niche particulière dans la nature". »

GAIFFELET :

« faisons un pas tout de même dans cette distinction entre les deux attitudes humanistes possibles,
dans le rapport avec les animaux. 
La première, je le répète, est l'indifférence morale : dans les rapports entre hommes et animaux,
l'éthique n'est pas plus pertinente que dans les rapports entre animaux. L'éthique est affaire
strictement humaine, et hors de l'humanité, elle perd toute signification. 


La seconde est le dégoût. L'humanité en l'homme serait l'affaire de l'éthique. Or, ravaler l'homme au
rang de la bête :
1) par la fornication, d'une part (1);
2) par la fornication avec des bêtes, d'autre part;
Cela serait contraire à la promotion de l'humanité en l'homme.

Or, il reste, à mon sens, à savoir ce qu'il faut entendre par "promotion", en l'occurrence.

Faut-il entendre :

1) Augmenter ou ne pas diminuer l'humanité en nous-mêmes; 2) Stimuler l'augmentation ou prévenir toute diminution de l'humanité en autrui ?

Pour que la zoophilie contrevienne à l'impératif moral, entendu dans le premier sens, il faudrait que je m'y utilise comme un simple moyen pour une fin étrangère. Or, si le zoophile est instrumentalisé, par qui le serait-il, si ce n'est par lui-même, personne ne le poussant à de telles orientations sexuelles (c'est le moins que l'on puisse dire !) ?

Mais si c'est par lui-même qu'il est instrumentalisé, c'est qu'il est à lui-même sa propre fin, et dès lors, il n'est plus un simple moyen, etc. En bref : le zoophile, pour être zoophile, n'en est pas moins homme; et rien ne lui interdit d'être humain dans ses actions envers les hommes par ailleurs.

En revanche, pour que la zoophilie contrevienne à l'impératif de promotion de l'humanité, entendu dans le second sens, il suffit qu'elle enveloppe un risque d'anéantir chez autrui toute considération de la dignité (= valeur absolue) de l'homme, en l'alignant sur la valeur relative (sentimentale, ou instrumentale) de la bête.

Mettre au même niveau l'homme et la bête a souvent fait scandale, a souvent fait pousser les hauts cris de la "décadence des moeurs". Les effets du darwinisme, la querelle d'Oxford à son sujet, le vigueur nouvelle du créationnisme aux E.U.A. en sont des exemples fameux.

Un peu plus tôt (1732-1779), en France, les "Ecorchés" de Fragonard (2) réalisés selon une méthode de conservation des tissus à température ambiante inégalée et aujourd'hui perdue, avaient montré au public une image déshumanisante de l'homme comparable au darwinisme... et à la zoophilie.

Voici son chef d'oeuvre, Le Cavalier de l'Apocalypse :


Inquiétante oeuvre d'art que celle-là ! L'homme et l'animal y semblent indistincts, dans la continuité ininterrompue de vaisseaux sanguins inextricables et de tendons séchés qui se chevauchent. De l'Art et du cheval : L'homme ne chevauche pas le cheval, ils se chevauchent l'un l'autre.

Mais la zoophilie reste, le plus souvent, un fait privé... Malgré l'essor récent que lui donne Internet. Cependant, même dans le cas où l'on ne parlerait plus de la pratique secrète et privée de la zoophilie, mais de sa représentation publique, resterait la question : l'absence de promotion de l'humanité en l'homme qu'impliquent (de fait) de telles représentations (3) induisent-elles un dégoût de type moral (comme le dégoût qu'inspire universellement le meurtrier), ou un dégoût de type esthétique (comme le dégoût qu'inspire universellement le cadavre) ?

Qu'est-ce qui motive le personnage du second plan du haut-relief qui ouvre ce forum à se boucher la vue ?

Est-ce que la scène est laide car immorale, ou est-elle seulement très laide (ce dont je conviens sans problème) ?

NOTES :

(1) Je signale que la condamnation par Kant de la fornication ne me paraît pas convaincante, au motif qu'il néglige qu'une sexualité épanouie est une condition du bonheur, que le bonheur est (vis-à-vis de nous-mêmes) un devoir au moins indirect (au sens où l'homme heureux inclinera moins au vice que le malheureux), et que le bonheur d'autrui est la fin de tout acte moral. Aussi, l'acte sexuel envisagé sans perpective reproductive, mais à seule fin de plaisir, s'il est fait non seulement dans le but de nous satisfaire, mais toujours aussi dans le but de fournir du plaisir à autrui, n'entre pas en contradiction avec les conditions d'une vie morale. Aussi, je me concentre sur le second point, plus caractéristique de la zoophilie, et plus polémique aujourd'hui.

(2) Cousin du peintre Jean Honoré Fragonard

(3) Je ne parle ici, bien entendu, que de représentations de rapports sexuels consentis avec des animaux, et non de rapports contraints, comme cela peut être le cas dans une pornographie d'un genre douteux, et humiliant. »

GAIFFELET :

« De quelle nature peut bien être le dégoût qui nous ferait impulsivement fermer les yeux si l'on nous infligeait
le spectacle d'un acte zoophile ?

Un objet ou un acte qui suscite le dégoût, nous l'appelons monstrueux. Et il semble universel que la zoophilie passe pour telle.

Dans la mythologie grecque, l'union de la reine de Crète Pasiphaé et d'un taureau, dont la récit est cocace, a pour fruit le monstrueux Minotaure, friant de jeunes gens, que Thésée devra combattre.

Le mythe présente le Minotaure comme un juste châtiment infligé en retour d'un acte contraire à la nature, à son auteur. Cependant, nous avons écarté une telle éthique de la nature, comme nous avons écarté qu'il fût contraire au devoir d'utiliser des animaux de quelque manière que ce soit, pour quelque fin que ce soit.

Dans le dégoût pour la zoophilie, il semble y avoir cette même hantise de l'animalité que l'homme porte en lui, dont il procède et à laquelle il ne faut pas qu'il retourne, qui fait détester spontanément ce qui instaure une continuité entre l'homme et l'animal. L'animalité, et la nature avec elle, ne cesse jamais de rattrapper, de ressaisir l'homme, libre, qui s'en arrache par la raison.

Mais n'est-ce pas alors la signification de la zoophilie, ce à quoi elle touche dans l'imaginaire humaniste en termes de symboles, qui est ici en jeu, plutôt que la moralité ou l'immoralité de l'acte ? Pour autant que nous sommes humanistes, ne nous paraît-elle pas monstrueuse et dégoûtante qu'à la mesure de cette hantise moderne (et légitime) du retour à la nature qu'elle met en scène, qu'elle symbolise ?

Elle serait le strict inverse de l'esthétique humaniste de la corrida, où le torero vainct la nature qui tente de le reprendre dans la mort, par le moyen du taureau. Le dégoût esthétique des pratiques zoophiles nous renverrait au dégoût moral que nous inspire la soumission de l'homme et de la raison à la naturalité aveugle et sauvage de nos pulsions les plus violentes.

C'est ainsi que j'expliquerais que la légende du Minotaure et de sa conception zoophile sont le tabou humaniste le plus puissant, esthétiquement parlant, quoique neutre, moralement parlant; tout comme la mort du taureau dans l'arène d'une corrida constitue le faîte du sublime, esthétiquement parlant; quoiqu'elle soit égale ou indifférente, d'un point de vue moral. »